Dans une publication par ailleurs appréciable et courageuse, un malfaisant compulsif vient de cracher méchamment, cette fois, sur Gustave Thibon (et Simone Weil), convoquant pour cela le thomisme le plus obtus et racorni. Au passage, le malfaisant compulsif, faisant de Jean Madiran un juge d’instruction à charge, « oublie » de signaler que les cinq premiers numéros de Présent (toute la première semaine, janvier 1982) avaient en leur cœur même une grande interview de Gustave Thibon. Ce n’est pas anodin.
En réparation, voici quelques pépites de l’inépuisable mine d’or spirituelle que sont les écrits de Gustave Thibon, prises dans les premiers chapitres de son avant-dernier recueil, « Le voile et le masque », qu’il m’avait ainsi dédicacé : « Pour Yves Daoudal, en très cordial souvenir de son témoignage d’une amitié sans masque. De tout cœur, Gustave Thibon ». (Mais le plus beau de ses titres reste : « Notre regard qui manque à la lumière », de 1955, ainsi explicité : « Ce n’est pas la lumière qui manque à notre regard, c’est notre regard qui manque de lumière ».)
Dans le clair-obscur du pèlerinage terrestre où l’homme masque son néant et où Dieu voile son Etre, pas d’autre voie de salut que la prière, en attendant l’heure de vérité où, pour citer une fois encore l’intarissable Hugo, « le masque tombera du visage de l’homme et le voile du visage de Dieu ».
La croix est le seul trait d’union entre l’homme et Dieu d’où l’illusion soit absente.
Dieu – ce nom prostitué jusqu’à ne plus rien signifier – fausse clef à force d’être devenu passe-partout. Mais vrai passe-partout aussi dans ce sens qu’il permet non pas d’ouvrir, mais de traverser toutes les portes, qu’il les rend transparentes en les laissant fermées. Ainsi du mal, du malheur, de la mort.
Mort du Christ. Un petit incident local répercuté dans tous les lieux et dans tous les siècles. Humilité de Dieu qui a caché la source de l’éternel dans un si mince repli de l’histoire…
Le temps : Déroulement de l’éternel. Il faut inverser le mouvement de la création et le transformer en enroulement autour de l’éternel. C’est le redimere tempus de l’Apôtre, la « décréation » de Simone Weil. Rites quotidiens, cycles liturgiques, etc.
Hugo : « A la mort le masque tombera du visage de l’homme et le voile du visage de Dieu. » Ne pas attendre la violence de la mort. Chaque masque qui tombe du visage de l’homme fait tomber un voile du visage de Dieu. C’est peut-être le sens profond du nosce te ipsum de Socrate.
Disproportion scandaleuse entre l’infinité des promesses divines et l’accueil infinitésimal qu’elles trouvent en nous.
Faiblesse des mobiles spirituels non irrigués par la chair et par le sang. Pourquoi l’âme a-t-elle besoin de ces leviers ? Dialectique de l’amour dans Platon : la pesanteur au service de l’impondérable – les créatures, terrains d’envol vers le divin. Mais terrain si détrempé que je m’y enlise au lieu d’en décoller…
Rien dans l’homme n’est à la hauteur du discours de l’homme. – et c’est la preuve voilée de l’existence d’un univers supérieur d’où descendent ces éclairs d’impossible perfection.
Péché originel. On dit indifféremment blessure ou tache originelle. Alors que la différence est immense entre ces deux aspects de la chute. Plus la tache s’efface, plus la blessure se creuse et se fait douloureuse : ce sont les êtres purifiés (les saints) qui en souffrent le plus. Inversement, plus la tache est épaisse, plus elle envenime la plaie et, du même coup, l’anesthésie. Les maux de l’âme les plus incurables sont aussi les plus indolores. La médiocrité dans le mal, péché suprême. Ascèse : désinfecter la plaie, la mettre à nu et à vif. La transfusion divine est à ce prix…
Campagnes contre la peine de mort. Sensibilité épidermique – je serais tenté de dire prurit idéologique. Et qui va de pair avec la justification de l’avortement – même symptôme de décadence. La société élimine ses promesses inécloses et conserve jalousement ses pires déchets.