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8e dimanche après la Pentecôte

La parabole de « l’intendant de l’iniquité » est l’une des plus déstabilisante de l’Evangile. Pour la comprendre il faut d’abord respecter le texte, ce que la plupart des traductions ne font pas.

Le texte parle de la façon dont un « intendant de l’iniquité » se sert du « mammon de l’iniquité ».

Ces deux expressions sont des hébraïsmes, qui mettent en complément de nom, au génitif, ce qui pour nous serait un adjectif : intendant inique, mammon inique. Ces hébraïsmes évidents, dans le texte très grec de saint Luc, sont là pour attirer l’attention. Notamment l’attention sur « mammon », un mot araméen. Il devrait être évident pour tout traducteur que si l’hellénophone Luc a mis un mot araméen, c’est qu’on doit le garder dans toute traduction (comme l’a fait la Vulgate), car c’est qu’il est, d’une certaine façon, dans le cadre de la parabole, intraduisible. Même si l’on comprend qu’il s’agit d’argent ; et c’est précisément parce qu’on comprend qu’il s’agit d’argent qu’il n’est nul besoin de le traduire.

Ce « mammon » que Luc ne traduit pas (ou que Jésus a intentionnellement dit en araméen dans un discours en grec) prend une allure de divinité païenne. Or c’est bien ce dont il s’agit. Jésus dénonce ceux qui font de l’argent un dieu.

Dans le verset précédent il a opposé « les enfants de ce siècle » aux « enfants de lumière ».

On pense à la seconde épître aux Corinthiens :

Ne portez pas un même joug avec les infidèles; car quelle union y a-t-il entre la justice et l’iniquité? Ou quelle association entre la lumière et les ténèbres? Ou quel accord entre le Christ et Bélial? Ou quelle part entre le fidèle et l’infidèle? Quel rapport entre le temple de Dieu et les idoles? Car vous êtes le temple du Dieu vivant.

Il y a donc un « mammon de l’iniquité » et un « intendant de l’iniquité ». Ils devraient bien s’entendre, et celui-ci devrait être un serviteur de celui-là. Il l’était, d’ailleurs, jusqu’ici, et c’est pourquoi le maître le renvoie. Or voici qu’il va faire exploser le mammon de l’iniquité. Comment ? En s’en servant, non plus pour accroître son bien, mais pour se faire des amis. Nous sommes toujours dans le monde de la malhonnêteté, mais la malhonnêteté est désormais au service de la création de relations. L’intendant se fait des amis qui le recevront chez eux, et c’est l’image du chrétien qui « remet les dettes » (c’est ce que dit le Pater en grec et en latin), qui se sert de l’argent comme d’un instrument de charité, de création de relations, de ces relations qui conduisent aux tentes éternelles, dans la triple relation d’amour, trois Personnes, de la divine Trinité.

Voilà pourquoi le maître, Kyrios, le Seigneur, loue l’intendant de l’iniquité « parce qu’il a agi avec sagesse ». On trahit le texte en traduisant « avec habileté » parce qu’on n’ose pas livrer la parole de Dieu telle qu’elle est. Mais ce faisant on ose la trahir… Le mot grec est celui qui est utilisé pour les « vierges sages » par opposition aux « vierges folles ». Les vierges sages ne sont pas des vierges « habiles ». La Vulgate a, comme d’habitude, bien traduit par « prudenter ». Non pas au sens actuel le plus courant du mot « prudent », mais au sens de sage, « avisé ». L’intendant a agi « de façon avisée ». Et si un intendant inique peut agir de cette façon, à plus forte raison un fidèle du Christ doit-il se faire des amis avec le même mammon de l’iniquité, des « relations », pour qu’elles le portent dans les tentes éternelles de la triple Relation d’amour, là où personne ne peut plus compter sur mammon.